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DE GUSTAVE FLAUBERT.

722. À ERNEST DUPLAN.
Croisset, 12 juin 1862.
Mon cher Ami,

L’affaire, grâce à vous, me paraît bien emmanchée et j’ai bon espoir ; mais voici les considérations que je soumets à votre judiciaire :

1o Je ne crois point qu’il soit sage de laisser Lévy lire mon manuscrit.

Pourquoi cette exception défavorable ? Car jamais un éditeur ne lit les œuvres qu’il imprime. Quand je me suis abouché avec Lévy pour la Bovary (j’étais alors complètement inconnu), je lui ai offert de la lire. Il a refusé en disant que « ce n’était pas la peine ». Notez qu’il n’achète nullement Salammbô, mais la valeur vénale que ma première publication donne à la seconde.

Je ne crois pas qu’il abuse de mon manuscrit, mais voici ce qui arriverait. Quelle que soit son opinion, il commencera par faire de mon livre de grands éloges, en ayant bien soin d’ajouter que « ça ne marchera pas sur le public ». Puis il ira chez ses confrères déprécier ma denrée et, de guerre lasse, il me faudra enfin revenir à sa boutique et en passer par ses conditions, à lui. Je crois ce petit aperçu grave. Quid dicis ?

2o Jamais, moi vivant, on ne m’illustrera, parce que : la plus belle description littéraire est dévorée par le plus piètre dessin. Du moment qu’un type est fixé par le crayon, il perd ce caractère de généralité, cette concordance avec mille objets connus qui font dire au lecteur : « J’ai vu cela »