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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/67

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DE GUSTAVE FLAUBERT.

à mes personnages et ont une influence lointaine ou immédiate sur l’action.

Je n’accepte pas non plus le mot de chinoiserie appliqué à la chambre de Salammbô, malgré l’épithète d’exquise qui le relève (comme dévorants fait à chiens dans le fameux Songe), parce que je n’ai pas mis là un seul détail qui ne soit dans la Bible ou que l’on ne rencontre encore en Orient. Vous me répétez que la Bible n’est pas un guide pour Carthage (ce qui est un point à discuter) ; mais les Hébreux étaient plus près des Carthaginois que les Chinois, convenez-en ! D’ailleurs, il y a des choses de climat qui sont éternelles. Pour ce mobilier et les costumes, je vous renvoie aux textes réunis dans la 21e dissertation de l’abbé Mignot (Mémoires de l’Académie des inscriptions, tome LX ou XLI, je ne sais plus).

Quant à ce goût « d’opéra, de pompe et d’emphase », pourquoi donc voulez-vous que les choses n’aient pas été ainsi, puisqu’elles sont telles maintenant ! Les cérémonies, les visites, les prosternations, les invocations, les encensements et tout le reste, n’ont pas été inventés par Mahomet, je suppose.

Il en est de même d’Hannibal. Pourquoi trouvez-vous que j’ai fait son enfance fabuleuse ? Est-ce parce qu’il tue un aigle ? Beau miracle dans un pays où les aigles abondent ! Si la scène eût été placée dans les Gaules, j’aurais mis un hibou, un loup ou un renard. Mais, Français que vous êtes, vous êtes habitué, malgré vous, à considérer l’aigle comme un oiseau noble, et plutôt comme un symbole que comme un être animé. Les aigles existent, cependant.