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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ment dans l’esprit de tout le monde. C’est maintenant un duel à mort. Il faut, suivant la vieille formule, « vaincre ou mourir ». Les hommes les plus capons sont devenus graves. La garde nationale de Rouen envoie demain son 1er  bataillon à Vernon ; dans quinze jours toute la France sera soulevée. J’ai vu aujourd’hui à Rouen des mobiles des Pyrénées ! Les paysans de Gournay marchent sur l’ennemi. De l’ensemble des nouvelles, il résulte que nous avons eu l’avantage dans toutes les escarmouches qui ont eu lieu aux environs de Paris, malgré la panique des zouaves du général Ducrot. Mais j’oublie que ton mari t’envoie tous les jours le Nouvelliste.

Je commence, aujourd’hui, mes patrouilles de nuit. J’ai fait tantôt à « mes hommes » une allocution paternelle, où je leur ai annoncé que je passerais mon épée dans la bedaine du premier qui reculerait, en les engageant à me flanquer à moi-même des coups de fusil s’ils me voyaient fuir. Ton vieux baudruchard d’oncle est monté au ton épique ! Quelle drôle de chose que les cervelles, et surtout que la mienne ! Croirais-tu que, maintenant, je me sens presque gai ! J’ai recommencé hier à travailler, et j’ai retrouvé l’appétit !

Tout s’use, l’angoisse elle-même.

Ton oncle Achille Flaubert me dépasse, car il veut quitter ses malades et prendre un fusil.

P***, qui tremblait il y a huit jours, a maintenant son sac tout préparé et ne demande qu’à marcher : chacun sent qu’il le faut ; le temps des plaintes est passé ! à la grâce de Dieu ! Bonsoir !

Peut-être suis-je fou ? Mais à présent j’ai de l’espoir. Si l’armée de la Loire ou celle de Lyon