Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
CORRESPONDANCE

1869 aura été une bonne année pour moi. J’ai fait un livre qui vous a plu et je passerai non loin de vous quatre mois de plus qu’à l’ordinaire. Car je compte bien rester à Paris du milieu d’août, ou commencement de septembre, au plus tard, jusqu’au mois de décembre. La tristesse que me cause toujours mon départ de là-bas se calme un peu, l’étourdissement du silence diminue. Je me suis remis à travailler, fade consolation, mais consolation.

Je comprends ce qu’il vous en coûte de vous séparer de Mme de Fly. Je la regretterai, pour ma part, car je l’ai toujours trouvée charmante. Quelle bonne vieille aimable et « comme il faut » ! C’est le privilège des femmes de pouvoir plaire à tous les âges et de se faire aimer de toutes les façons.

Nous ne sommes pas comme cela, nous autres ! Est-ce que vous êtes seule à Saint-Gratien ? Vous m’avez l’air d’être dans un moment de tristesse ? C’est la réaction des fatigues de l’hiver, le repos succédant au mouvement. Dans quelques jours cela se passera, et puis le soleil va enfin briller ! espérons-le.

Il n’y a pas « de manque de dignité » à sentir ce que vous me dites par rapport à Sainte-Beuve ; cela prouve que vous avez le cœur bon, tout simplement. L’ingénuité du sentiment, est ce qui nous distingue des mannequins. Une bûche ne vibre pas comme une lyre. Parmi tous les dons dont la Providence vous a comblée, celui-là est un des plus rares. Vos amis en sont heureux. Soyez-en fière.

Je vous baise les mains aussi longtemps que vous le permettrez, Princesse, et suis à vous.