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CORRESPONDANCE

je défie qu’on me montre une différence essentielle entre ces deux termes. Une République moderne et une monarchie constitutionnelle sont identiques. N’importe ! On se chamaille là-dessus, on crie, on se bat.

Quant au bon peuple, l’instruction « gratuite et obligatoire » l’achèvera. Quand tout le monde pourra lire le Petit Journal et le Figaro, on ne lira pas autre chose, puisque le bourgeois, le monsieur riche ne lit rien de plus. La presse est une école d’abrutissement, parce qu’elle dispense de penser. Dites cela, vous serez brave, et, si vous le persuadez, vous aurez rendu un fier service.

Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain. Tel qu’il est constitué, un seul élément prévaut au détriment de tous les autres : le nombre domine l’esprit, l’instruction, la race et même l’argent, qui vaut mieux que le nombre.

Mais une société (qui a toujours besoin d’un bon Dieu, d’un Sauveur) n’est peut-être pas capable de se défendre. Le parti conservateur n’a pas même l’instinct de la brute (car la brute, au moins, sait combattre pour sa tanière et ses vivres). Mais ceux du passé, qui n’avaient non plus ni patrie ni justice, n’ont pas réussi, et l’Internationale sombrera, parce qu’elle est dans le faux. Pas d’idées, rien que des convoitises !

Ah ! chère bon maître, si vous pouviez haïr ! C’est là ce qui vous a manqué : la haine. Malgré vos grands yeux de sphinx, vous avez vu le monde à travers une couleur d’or. Elle venait du soleil de votre cœur ; mais tant de ténèbres ont surgi,