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DE GUSTAVE FLAUBERT.

n’offre rien de nouveau. Son irrémédiable misère m’a empli d’amertume, dès ma jeunesse. Aussi, maintenant, n’ai-je aucune désillusion. Je crois que la foule, le troupeau sera toujours haïssable. Il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits, toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau. Tant qu’on ne s’inclinera pas devant les mandarins, tant que l’Académie des sciences ne sera pas le remplaçant du Pape, la politique tout entière et la société, jusque dans ses racines, ne sera qu’un ramassis de blagues écœurantes. Nous pataugeons dans l’arrière-faix[1] de la Révolution, qui a été un avortement, une chose ratée, un four, « quoi qu’on dise ». Et cela parce qu’elle procédait du moyen âge et du christianisme. L’idée d’égalité (qui est toute la démocratie moderne) est une idée essentiellement chrétienne et qui s’oppose à celle de justice. Regardez comme la grâce, maintenant, prédomine. Le sentiment est tout, le droit rien. On ne s’indigne même plus contre les assassins, et les gens qui ont incendié Paris sont moins punis que le calomniateur de M. Favre.

Pour que la France se relève, il faut qu’elle passe de l’inspiration à la Science, qu’elle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses.

Je suis persuadé que nous semblerons à la postérité extrêmement bêtes. Les mots République et monarchie la feront rire, comme nous rions, nous autres, du réalisme et du nominalisme. Car

  1. Toutes les éditions portent : arrière-faux, qui est un non-sens. Le mot « avortement », qui suit, prouve que Flaubert a emprunté sa métaphore au vocabulaire de l’obstétrique.