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DE GUSTAVE FLAUBERT.

frénétique. Aussi, je crois avoir amené mon bouquin à un joli degré d’insanité. L’idée des bêtises qu’il fera dire au bourgeois me soutient ; ou plutôt je n’ai pas besoin d’être soutenu, un pareil milieu me plaisant naturellement.

Il est de plus en plus stupide, ce bon bourgeois : il ne va même pas voter. Les bêtes brutes le dépassent dans le sentiment de la conservation personnelle. Pauvre France, pauvres nous !

Savez-vous ce que je lis pour me distraire maintenant ? Bichat[1] et Cabanis[2], qui m’amusent énormément. On savait faire des livres dans ce temps-là. Ah ! Que nos docteurs d’aujourd’hui sont loin de ces hommes !

Nous ne souffrons que d’une chose : la Bêtise. Mais elle est formidable et universelle. Quand on parle de l’abrutissement de la plèbe, on dit une chose injuste, incomplète. Conclusion : il faut éclairer les classes éclairées. Commencez par la tête, c’est ce qui est le plus malade, le reste suivra.

Vous n’êtes pas comme moi, vous ! Vous êtes pleine de mansuétude. Moi, il y a des jours où la colère m’étouffe. Je voudrais noyer mes contemporains dans les latrines, ou tout au moins faire pleuvoir sur leurs têtes des torrents d’injures, des cataractes d’invectives. Pourquoi cela ? Je me le demande à moi-même.

  1. Célèbre physiologiste, mourut accidentellement à trente et un ans. Ses travaux sur l’anatomie et son ouvrage : Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800), l’avaient, malgré sa jeunesse, placé au premier rang du corps médical.
  2. Médecin et physiologiste, s’occupa d’abord de littérature, puis de médecine. Il publia entre autres : Rapports du physique et du moral de l’homme (1802).