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CORRESPONDANCE

1296. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Mercredi [15 mai 1872].

Nos lettres se croisent toujours ! Avez-vous remarqué cela, Princesse ? Est-ce assez drôle, et comme c’est flatteur pour moi !

Je vous annonçais ma visite pour le 20 de ce mois. Mais les éternelles affaires me retiendront ici jusqu’au commencement de juin, et mon petit voyage est reculé de quinze jours. J’ai été tenté, après la mort de ma mère, de faire mon paquet et de m’en aller bien loin, n’importe où. Mais une fois sorti de cette pauvre maison, je n’aurais pas eu le courage d’y rentrer ! et j’ai agi sagement en tâchant de prendre, tout de suite, l’habitude de l’isolement absolu.

Je suis raisonnable, je me force à faire quelque chose et à travailler pour m’étourdir. Mais le cœur n’est pas à la besogne et la rêverie reprend le dessus. Je me perds dans les souvenirs, comme un vieillard.

N’est-ce pas aujourd’hui qu’Estelle se marie[1] ? Pauvre, pauvre Théo ! Aucun de ses enfants ne m’a donné de ses nouvelles. J’ai peur que cet événement-là (le mariage d’Estelle) ne lui soit funeste.

Cela a dû vous sembler bon de vous retrouver dans le cher Saint-Gratien. Mais quel temps ! quel froid ! À quoi vous occupez-vous ? Faites-vous quelque grand ouvrage de peinture ? Tâchez

  1. Estelle Gautier, fiancée à Émile Bergerat.