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CORRESPONDANCE

Mes affaires, chose assommante, me laisseront un peu tranquille vers le 20 du mois prochain. J’en profiterai pour aller vous faire une petite visite.

Mais où êtes-vous ? À Saint-Gratien ou à Paris ? Pouvez-vous me donner des nouvelles de mon pauvre Théo qui m’inquiète beaucoup ? J’avais prié ses deux filles de m’écrire. Elles n’en ont rien fait, ni l’une ni l’autre (j’ignore l’adresse de son fils).

Goncourt m’a écrit qu’il empirait. Encore un ami qui va s’en aller ! La mort s’acharne sur tout ce que j’aime. Allons, il faut être philosophe et je ne veux pas vous ennuyer. D’ailleurs, après l’invasion prussienne, il n’y a plus de malheur possible. Ç’a été là le fond de l’abîme, le dernier degré de la rage et du désespoir ! Comment n’en suis-je pas crevé ? C’est ce qui m’étonne, quand j’y songe. Mais nous sommes nés pour souffrir, puisque la vie se passe à cela.

Il y a aujourd’hui trois semaines, il me semblait qu’on m’arrachait les entrailles ; et maintenant, je reprends les mêmes occupations, le même petit train-train…

Tout passe, parce que tout lasse !

Tâchez de vous tenir, sinon en joie, du moins en sérénité, et permettez-moi, Princesse, de vous baiser les mains en vous assurant que je suis

Votre vieux fidèle et dévoué.

Amitiés, je vous prie, au bon Girard et à Popelin.