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404.
CORRESPONDANCE

1319. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset.] Jeudi soir, 6 h. ½ [22 août 1872].

Me voilà revenu dans ma solitude, mon pauvre loulou ! et je songe à toi, je me rappelle tout notre voyage dans ses plus petits détails. Comme c’est déjà loin ! et comme je regrette ta gentille société !

La mienne était par moments bien rébarbative. J’ai appris à Paris que plusieurs personnes (entre autres Gustave Moreau, le peintre) étaient affectées de la même maladie que moi, c’est-à-dire l’insupportation de la foule. C’est une affection commune depuis « nos désastres », à ce qu’il paraît. Aujourd’hui, je me suis promené dans le jardin, par un temps splendide et triste, et j’ai lu de la philosophie médicale, car je commence mes grandes lectures pour Bouvard et Pécuchet. Je t’avouerai que le plan, que j’ai relu hier soir après mon dîner, m’a semblé superbe, mais c’est une entreprise écrasante et épouvantable. Tu n’as pas dû y comprendre grand’chose, d’après ce que je t’en ai dit et, après avoir relu mes quatre pages de scénario, j’ai le regret de t’en avoir parlé.

Ah ! pauvre Caro, le rêve pour moi ce serait de vivre ici ensemble ; que la scierie n’est-elle au Mont-Riboudet ! Mais je t’ennuierais trop. Il faut que les jeunes habitent avec les jeunes. Mes quatre jours passés à Paris n’ont pas été suffisants pour mes recherches de livres et de renseignements, mais j’en ai assez pour m’occuper pendant un mois.