Vous possédez ainsi, par devers vous, une jolie collection qu’on pourrait nommer Muséum des projets ajournés. La clef en est remise par chaque administration qui s’évanouit à celle qui lui succède, tant on a peur de se compromettre, tant on redoute d’agir ! La circonspection passe pour une telle vertu que l’initiative devient un crime. Être médiocre ne nuit pas ; mais avant tout, il faut se garder d’entreprendre.
Quand le public a bien crié, ou plutôt murmuré, on se met en règle en nommant une Commission ; et dès lors on peut ne rien faire du tout, absolument rien, « il y a une Commission. » Argument invincible, panacée contre toutes les impatiences.
Quelquefois, cependant, on a l’audace d’exécuter. Mais c’est une merveille, presque un scandale, comme il arriva lors des « grands travaux de Rouen, » c’est-à-dire lorsqu’on fit l’ex-rue de l’Impératrice, maintenant rue Jeanne-Darc et le square Solférino ! Cependant
Les squares maintenant sont à l’ordre du jour,
Il fallait que Rouen en eût un à son tour[1] !
Mais parmi tous vos projets, le plus ajourné, le plus important, le plus urgent, c’est celui de la distribution des eaux. Car vous en manquez, vous en avez besoin, à Saint-Sever, par exemple. Or, nous vous proposions, nous autres, d’établir, à n’importe quel coin de rue, deux colonnes ioniques surmontées d’un tympan avec un buste au milieu, une coquille au-dessous ; — et déjà nous voyions notre petite fontaine exécutée. — Des promesses, je dis des promesses formelles, avaient été faites à quelques-uns d’entre nous par plusieurs d’entre vous.
Aussi notre surprise fut-elle grande, d’autant plus que la municipalité est parfois large en ces matières : témoin la statue de Napoléon Ier qui décore la place Saint-Ouen. En effet, vous avez donné pour ce chef d’œuvre (le Conseil général avait voté une première fois 10 000 francs, une seconde fois 8 000 francs, enfin une troisième 5 000 francs d’indemnité au statuaire, parce que sa maquette avait été renversée fortuitement par la Commission, — toujours les Commissions ! Quelle aptitude pour les Arts !) ; vous avez donné, dis-je, la légère somme de 30 000 francs pour édifier cette statue — équestre et hydrocéphale — qui n’en a coûté après tout que 160 000 à peu près, on ne sait pas au juste.
Mais pour celle de Pierre Corneille, proposée en 1805 et qui fut élevée vingt-neuf ans plus tard, en 1834, vous avez, vous, Conseil municipal, dépensé 7 037 fr. 38 c., pas un sou de plus.
Il est vrai que c’est un très grand poète, et vous poussez la
- ↑ Poésies de M. Decorde, Lettre de condoléance au jardin de Saint-Ouen, déjà citée.