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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 8.djvu/210

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CORRESPONDANCE

ment. Je n’ai pu supporter cette entrave ; j’en ai cuydé crever de douleur. Fortin me l’a fendue du haut en bas, puis a maintenu les morceaux avec une bande, de sorte que j’ai le pied et la jambe dans une gouttière. Mais depuis vingt-quatre heures, enfin, je ne souffre plus, et je me suis réinstallé dans mon cabinet où je prends des notes sur le spiritisme et la religion…

Quand tu viendras me voir, je désire te parler à cœur ouvert et longuement, ma chère fille, car vraiment j’ai trop de choses qui m’étouffent. Il ne s’agit pas de s’irriter, de se blesser, mais il ne faut pas, non plus, rien se cacher.

Ce matin encore, j’ai essuyé une déception (il ne s’agit pas de vous). C’est trop long à t’expliquer, mais tu verras que vraiment le sort me persécute.

Ta comparaison du « chêne séculaire » battu par l’ouragan m’a fait rire. Elle est juste, appliquée à moi, car un chêne contient plusieurs bûches, et j’en deviens une belle !

Pauvre chère enfant, comme ta vie me fait de la peine ! Tu es bien courageuse, bien raisonnable ! Et je t’en aimerais plus, si c’était possible.

Comment vont les portraits ? Tâche de t’absorber là dedans, de toute ton âme. Guy m’a écrit sur sa mère une lettre déplorable ! Les nouvelles de Mme Brainne sont un peu meilleures.

Le forgeron de Bapaume qui a posé la grille de la cour s’est, ce matin, noyé avec son cheval et son enfant, un gamin de six ans. L’événement a eu lieu devant Duclos.

Tu n’imagines pas la gentillesse de Fortin à mon endroit. Il est venu hier trois fois, cras fas (ah ! c’était le bon temps que celui où tu disais