Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 8.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
DE GUSTAVE FLAUBERT.

Voyez-vous ma joie si un de ces jours on gobait Pinard dans l’intimité du jeune Chonard ? Il ne me resterait plus qu’à m’en aller remercier Notre-Dame de Lourdes ! À ce propos, je vous recommande deux petits livres très amusants : l’Arsenal de la Dévotion et le Dossier des Pèlerinages par Paul Parfait.

Et quand je songe que Pinard s’indignait des descriptions de la Bovary ! Quel abîme que la bêtise humaine ! Saviez-vous que Treilhard, mon juge d’instruction, fût devenu complètement gâteux ? Y aurait-il une justice divine ? D’ailleurs, tous les procès de presse, tous les empêchements à la pensée me stupéfient par leur profonde inutilité. L’expérience est là pour prouver que jamais ils n’ont servi à rien. N’importe ! on ne s’en lasse pas. La sottise naturelle est au pouvoir. Je hais frénétiquement ces idiots qui veulent écraser la muse sous les talons de leurs bottes ; d’un revers de sa plume elle leur casse la gueule et remonte au ciel. Mais ce crime-là, qui est la négation du Saint-Esprit, est le plus grand des crimes et peut-être le seul crime.

La discorde qui fleurit dans le grand parti de l’ordre me réjouit. Quelle lutte que celle de Cassagnac et de Rouher ! Beau spectacle ! Nobles cœurs ! Et quels esprits ! Et les photographies du petit prince qu’on distribue ! Et le comte de Paris qui se livre dans son château d’Eu à des réceptions royales où s’empressent les autorités, le jeune Lizot en tête ! Et le ministère écumant contre les cabarets ! Et notre Bayard qui n’arrête pas de jurer des m… et des t… de D…, en prenant son absinthe avec d’Harcourt ! Quelle drôle d’époque,