Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/141

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seules, ou par groupes de trois, ou disposées en galeries, ou formant des enceintes.

Bouvard et Pécuchet, pleins d’ardeur, étudièrent successivement la pierre du Post à Ussy, la Pierre-Couplée au Guest, la Pierre du Darier, près de Laigle, d’autres encore !

Tous ces blocs, d’une égale insignifiance, les ennuyèrent promptement ; et un jour qu’ils venaient de voir le menhir du Passais, ils allaient s’en retourner, quand leur guide les mena dans un bois de hêtres, encombré par des masses de granit pareilles à des piédestaux ou à de monstrueuses tortues.

La plus considérable est creusée comme un bassin. Un des bords se relève, et du fond partent deux entailles qui descendent jusqu’à terre ; c’était pour l’écoulement du sang, impossible d’en douter ! Le hasard ne fait pas de ces choses.

Les racines des arbres s’entremêlaient à ces socles abrupts. Un peu de pluie tombait ; au loin, les flocons de brume montaient, comme de grands fantômes. Il était facile d’imaginer sous les feuillages les prêtres en tiare d’or et en robe blanche, avec leurs victimes humaines, les bras attachés dans le dos, et, sur le bord de la cuve, la druidesse observant le ruisseau rouge, pendant qu’autour d’elle la foule hurlait, au tapage des cymbales et des buccins faits d’une corne d’auroch.

Tout de suite, leur plan fut arrêté.

Et une nuit, par un clair de lune, ils prirent le chemin du cimetière, marchant comme des voleurs, dans l’ombre des maisons. Les persiennes étaient closes et les masures tranquilles ; pas un chien n’aboya.