Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/153

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sublime. Les vaincus de chaque côté, naturellement, sont des martyrs.

Thierry démontre, à propos des Barbares, combien il est sot de rechercher si tel prince fut bon ou fut mauvais. Pourquoi ne pas suivre cette méthode dans l’examen des époques plus récentes ? Mais l’histoire doit venger la morale ; on est reconnaissant à Tacite d’avoir déchiré Tibère. Après tout, que la reine ait eu des amants ; que Dumouriez, dès Valmy, se proposât de trahir ; en prairial que ce soit la Montagne ou la Gironde qui ait commencé, et en thermidor les Jacobins ou la Plaine, qu’importe au développement de la Révolution, dont les origines sont profondes et les résultats incalculables ?

Donc, elle devait s’accomplir, être ce qu’elle fut, mais supposez la fuite du Roi sans entrave, Robespierre s’échappant ou Bonaparte assassiné, hasards qui dépendaient d’un aubergiste moins scrupuleux, d’une porte ouverte, d’une sentinelle endormie, et le train du monde changeait.

Ils n’avaient plus sur les hommes et les faits de cette époque, une seule idée d’aplomb.

Pour la juger impartialement, il faudrait avoir lu toutes les histoires, tous les mémoires, tous les journaux et toutes les pièces manuscrites, car de la moindre omission, une erreur peut dépendre qui en amènera d’autres à l’infini. Ils y renoncèrent.

Mais le goût de l’histoire leur était venu, le besoin de la vérité pour elle-même.

Peut-être est-elle plus facile à découvrir dans les époques anciennes ? les auteurs, étant loin des choses, doivent en parler sans passion. Et ils commencèrent le bon Rollin.