Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/232

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— Il le demande ! s’écria-t-elle en se tordant les bras. Mais si tu es tué, mon amour ! Oh reste !

Et ses yeux bleus, plus encore que ses paroles, le suppliaient.

— Laisse-moi tranquille ! je dois partir !

Elle eut un ricanement de colère.

— L’autre l’a permis, hein ?

— N’en parle pas !

Il leva son poing fermé.

— Non ! mon ami, non ! je me tais, je ne dis rien.

Et de grosses larmes descendaient le long de ses joues dans les ruches de sa collerette.

Il était midi. Le soleil brillait sur la campagne, couverte de blés jaunes. Tout au loin, la bâche d’une voiture glissait lentement. Une torpeur s’étalait dans l’air ; pas un cri d’oiseau, pas un bourdonnement d’insecte. Gorju s’était coupé une badine, et en raclait l’écorce. Mme Castillon ne relevait pas la tête.

Elle songeait, la pauvre femme, à la vanité de ses sacrifices, les dettes qu’elle avait soldées, ses engagements d’avenir, sa réputation perdue. Au lieu de se plaindre, elle lui rappela les premiers temps de leur amour, quand elle allait, toutes les nuits, le rejoindre dans la grange ; si bien qu’une fois son mari, croyant à un voleur, avait lâché, par la fenêtre, un coup de pistolet. La balle était encore dans le mur.

— Du moment que je t’ai connu, tu m’as semblé beau comme un prince. J’aime tes yeux, ta voix, ta démarche, ton odeur !

Elle ajouta plus bas :

— Je suis en folie de ta personne !