Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/330

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— Et notez que les chrétiens n’avaient rien fait contre l’État !

— Les Huguenots pas davantage !

Le vent chassait, balayait la pluie dans l’air. Elle claquait sur les feuilles, ruisselait au bord du chemin, et le ciel, couleur de boue, se confondait avec les champs dénudés, la moisson étant finie. Pas un toit. Au loin seulement, la cabane d’un berger.

Le maigre paletot de Pécuchet n’avait plus un fil de sec. L’eau coulait le long de son échine, entrait dans ses bottes, dans ses oreilles, dans ses yeux, malgré la visière de la casquette Amoros ; le curé, en relevant d’un bras la queue de sa soutane, se découvrait les jambes, et les pointes de son tricorne crachaient l’eau sur ses épaules comme des gargouilles de cathédrale.

Il fallut s’arrêter, et tournant le dos à la tempête, ils restèrent face à face, ventre contre ventre, en tenant à quatre mains le parapluie qui oscillait.

M. Jeufroy n’avait pas interrompu la défense des catholiques.

— Ont-ils crucifié vos protestants, comme le fut saint Siméon, ou fait dévorer un homme par deux tigres, comme il advint à saint Ignace ?

— Mais comptez-vous pour quelque chose tant de femmes séparées de leurs maris, d’enfants arrachés à leurs mères ! Et les exils des pauvres, à travers la neige, au milieu des précipices ! On les entassait dans les prisons ; à peine morts, on les traînait sur la claie.

L’abbé ricana :

— Vous me permettrez de n’en rien croire ! Et nos martyrs à nous sont moins douteux. Sainte