Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/331

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Blandine a été livrée nue dans un filet à une vache furieuse. Sainte Julie périt assommée de coups. Saint Taraque, saint Probus et saint Andronic, on leur a brisé les dents avec un marteau, déchiré les côtes avec des peignes en fer, traversé les mains avec des clous rougis, enlevé la peau du crâne.

— Vous exagérez, dit Pécuchet. La mort des martyrs était, dans ce temps-là, une amplification de rhétorique !

— Comment, de la rhétorique ?

— Mais oui ! tandis que moi, monsieur, je vous raconte de l’histoire. Les catholiques, en Irlande, éventrèrent des femmes enceintes pour prendre leurs enfants !

— Jamais.

— Et les donner aux pourceaux !

— Allons donc !

— En Belgique, ils les enterraient toutes vives !

— Quelle plaisanterie !

— On a leurs noms !

— Et quand même, objecta le prêtre, en secouant de colère son parapluie. On ne peut les appeler des martyrs. Il n’y en a pas en dehors de l’Église.

— Un mot. Si la valeur du martyr dépend de la doctrine, comment servirait-il à en démontrer l’excellence ?

La pluie se calmait ; jusqu’au village ils ne parlèrent plus.

Mais, sur le seuil du presbytère, l’abbé dit :

— Je vous plains ! véritablement, je vous plains !

Pécuchet conta de suite à Bouvard son altercation. Elle lui avait causé une malveillance antireligieuse,