Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/17

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Arnoux l’avait appelée « Marie ! ». Il cria très haut « Marie ! ». Sa voix se perdit dans l’air.

Une large couleur de pourpre enflammait le ciel à l’occident. De grosses meules de blé, qui se levaient au milieu des chaumes, projetaient des ombres géantes. Un chien se mit à aboyer dans une ferme, au loin. Il frissonna, pris d’une inquiétude sans cause.

Quand Isidore l’eut rejoint, il se plaça sur le siège pour conduire. Sa défaillance était passée. Il était bien résolu à s’introduire, n’importe comment, chez les Arnoux, et à se lier avec eux. Leur maison devait être amusante, Arnoux lui plaisait d’ailleurs ; puis, qui sait ? Alors un flot de sang lui monta au visage ; ses tempes bourdonnaient ; il fit claquer son fouet, secoua les rênes, et il menait les chevaux tel train, que le vieux cocher répétait :

— Doucement ! mais doucement ! vous les rendrez poussifs.

Peu à peu Frédéric se calma, et il écouta parler son domestique.

On attendait Monsieur avec grande impatience. Mlle Louise avait pleuré pour partir dans la voiture.

— Qu’est-ce donc, Mlle Louise ?

— La petite à M. Roque, vous savez ?

— Ah ! j’oubliais ! répliqua Frédéric, négligemment.

Cependant, les deux chevaux n’en pouvaient plus. Ils boitaient l’un et l’autre ; et neuf heures sonnaient à Saint-Laurent lorsqu’il arriva sur la place d’Armes, devant la maison de sa mère. Cette maison, spacieuse, avec un jardin donnant sur la campagne, ajoutait à la considération de