Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/213

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traitait ses connaissances chez le restaurateur. Il achetait des choses complètement inutiles, telles que des chaînes d’or, des pendules, des articles de ménage. Mme  Arnoux montra même à Frédéric, dans le couloir, une énorme provision de bouillottes, chaufferettes et samovars. Enfin, un jour, elle avoua ses inquiétudes : Arnoux lui avait fait signer un billet, souscrit à l’ordre de M. Dambreuse.

Cependant, Frédéric conservait ses projets littéraires, par une sorte de point d’honneur vis-à-vis de lui-même. Il voulut écrire une histoire de l’esthétique, résultat de ses conversations avec Pellerin, puis mettre en drames différentes époques de la Révolution française et composer une grande comédie, par l’influence indirecte de Deslauriers et d’Hussonnet. Au milieu de son travail, souvent le visage de l’une ou de l’autre passait devant lui ; il luttait contre l’envie de la voir, ne tardait pas à y céder ; et il était plus triste en revenant de chez Mme  Arnoux.

Un matin qu’il ruminait sa mélancolie au coin de son feu, Deslauriers entra. Les discours incendiaires de Sénécal avaient inquiété son patron, et, une fois de plus, il se trouvait sans ressources.

— Que veux-tu que j’y fasse ? dit Frédéric.

— Rien ! tu n’as pas d’argent, je le sais. Mais ça ne te gênerait guère de lui découvrir une place, soit par M. Dambreuse ou bien Arnoux ?

Celui-ci devait avoir besoin d’ingénieurs dans son établissement. Frédéric eut une inspiration : Sénécal pourrait l’avertir des absences du mari, porter des lettres, l’aider dans mille occasions qui