Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/288

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despotisme, s’écria de loin, en indiquant une affiche dans un cadre :

— Hé ! là-bas, la Bordelaise ! lisez-moi tout haut l’article 9.

— Eh bien, après ?

— Après, mademoiselle ? C’est trois francs d’amende que vous payerez !

Elle le regarda en face, impudemment.

— Qu’est-ce que ça me fait ? Le patron, à son retour, la lèvera votre amende ! Je me fiche de vous, mon bonhomme !

Sénécal, qui se promenait les mains derrière le dos, comme un pion dans une salle d’études se contenta de sourire.

— Article 13, insubordination, dix francs !

La Bordelaise se remit à sa besogne. Mme  Arnoux par convenance, ne disait rien, mais ses sourcils se froncèrent. Frédéric murmura :

— Ah ! pour un démocrate, vous êtes bien dur !

L’autre répondit magistralement :

— La démocratie n’est pas le dévergondage de l’individualisme. C’est le niveau commun sous la loi, la répartition du travail, l’ordre !

— Vous oubliez l’humanité ! dit Frédéric.

Mme  Arnoux prit son bras ; Sénécal, offensé peut-être de cette approbation silencieuse, s’en alla.

Frédéric en ressentit un immense soulagement. Depuis le matin, il cherchait l’occasion de se déclarer ; elle était venue. D’ailleurs le mouvement spontané de Mme  Arnoux lui semblait contenir des promesses ; et il demanda, comme pour se réchauffer les pieds, à monter dans sa chambre.