Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/300

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Mme  de Remoussot, mise à la mode par son procès, trônait sur le siège d’un break en compagnie d’Américains ; et Thérèse Bachelu, avec son air de vierge gothique, emplissait de ses douze falbalas l’intérieur d’un escargot qui avait, à la place du tablier, une jardinière pleine de roses. La Maréchale fut jalouse de ces gloires ; pour qu’on la remarquât, elle se mit à faire de grands gestes et à parler très haut.

Des gentlemen la reconnurent, lui envoyèrent des saluts. Elle y répondait en disant leurs noms à Frédéric. C’étaient tous comtes, vicomtes, ducs et marquis ; et il se rengorgeait, car tous les yeux exprimaient un certain respect pour sa bonne fortune.

Cisy n’avait pas l’air moins heureux dans le cercle d’hommes mûrs qui l’entourait. Ils souriaient du haut de leurs cravates, comme se moquant de lui ; enfin il tapa dans la main du plus vieux et s’avança vers la Maréchale.

Elle mangeait avec une gloutonnerie affectée une tranche de foie gras ; Frédéric, par obéissance, l’imitait, en tenant une bouteille de vin sur ses genoux.

Le milord reparut, c’était Mme  Arnoux. Elle pâlit extraordinairement.

— Donne-moi du champagne ! dit Rosanette.

Et, levant le plus haut possible son verre rempli, elle s’écria :

— Ohé là-bas ! les femmes honnêtes, l’épouse de mon protecteur, ohé !

Des rires éclatèrent autour d’elle, le milord disparut. Frédéric la tirait par sa robe, il allait s’emporter. Mais Cisy était là, dans la même attitude