Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/301

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que tout à l’heure ; et, avec un surcroît d’aplomb, il invita Rosanette à dîner pour le soir même.

— Impossible ! répondit-elle. Nous allons ensemble au café Anglais.

Frédéric, comme s’il n’eût rien entendu, demeura muet ; et Cisy quitta la Maréchale d’un air désappointé.

Tandis qu’il lui parlait, debout contre la portière de droite, Hussonnet était survenu du côté gauche, et, relevant ce mot de café Anglais :

— C’est un joli établissement ! si l’on y cassait une croûte, hein ?

— Comme vous voudrez, dit Frédéric, qui, affaissé dans le coin de la berline, regardait à l’horizon le milord disparaître, sentant qu’une chose irréparable venait de se faire et qu’il avait perdu son grand amour. Et l’autre était là, près de lui, l’amour joyeux et facile ! Mais, lassé, plein de désirs contradictoires et ne sachant même plus ce qu’il voulait, il éprouvait une tristesse démesurée, une envie de mourir.

Un grand bruit de pas et de voix lui fit relever la tête ; les gamins, enjambant les cordes de la piste, venaient regarder les tribunes ; on s’en allait. Quelques gouttes de pluie tombèrent. L’embarras des voitures augmenta. Hussonnet était perdu.

— Eh bien, tant mieux ! dit Frédéric.

— On préfère être seul ? reprit la Maréchale, en posant la main sur la sienne.

Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la Daumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or. Mme  Dambreuse était près de son mari, Martinon