Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/318

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premier service : une hure d’esturgeon mouillée de champagne, un jambon d’York au tokai, des grives au gratin, des cailles rôties, un vol-au-vent Béchamel, un sauté de perdrix rouges, et, aux deux bouts de tout cela, des effilés de pommes de terre qui étaient mêlés à des truffes. Un lustre et des girandoles illuminaient l’appartement, tendu de damas rouge. Quatre domestiques en habit noir se tenaient derrière les fauteuils de maroquin. À ce spectacle, les convives se récrièrent, le Précepteur surtout.

— Notre amphitryon, ma parole, a fait de véritables folies ! C’est trop beau !

— Ça ? dit le vicomte de Cisy, allons donc !

Et, dès la première cuillerée :

— Eh bien, mon vieux des Aulnays, avez-vous été au Palais-Royal, voir Père et Portier ?

— Tu sais bien que je n’ai pas le temps ! répliqua le marquis.

Ses matinées étaient prises par un cours d’arboriculture, ses soirées par le Cercle agricole, et toutes ses après-midi par des études dans les fabriques d’instruments aratoires. Habitant la Saintonge les trois quarts de l’année, il profitait de ses voyages dans la capitale pour s’instruire ; et son chapeau à larges bords, posé sur une console, était plein de brochures.

Mais Cisy, s’apercevant que M. de Forchambeaux refusait du vin :

— Buvez donc, saprelotte ! Vous n’êtes pas crâne pour votre dernier repas de garçon !

À ce mot, tous s’inclinèrent, on le congratulait.

— Et la jeune personne, dit le précepteur, est charmante, j’en suis sûr ?