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Si l’on m’eût apporté ton livre sans signature, je l’aurais trouvé beau, mais étrange, et je me serais demandé si tu étais un immoral, un sceptique, un indifférent ou un navré »[1].

Au reste le pessimisme faisait le fond du caractère de Flaubert. Les Goncourt ne disaient-ils pas de lui qu’il semblait « porter la fatigue de la vaine escalade de quelque ciel » ? Lui-même a laissé échapper cet aveu : « Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe »[2].

On peut mettre en regard de l’Éducation sentimentale l’opinion de l’historien de la Monarchie de Juillet, M. Thureau-Dangin, sur la même époque : « Pour le vulgaire, la gouaillerie cynique de Vautrin ou de Robert Macaire, pour les raffinés le dégoût désespéré de Rolla, est-ce donc là qu’est arrivée, en quelques années, cette génération que nous avions vue, à la fin de la Restauration, si riche d’espérances, si confiante dans son orgueil, et qui avait cru trouver dans la révolution de 1830 le signal de sa pleine victoire ? Après ce départ d’une allure si joyeuse et si conquérante, cet arrêt plein de lassitude, de malaise et d’impuissance ; après des dithyrambes et des affirmations si hautaines, un ricanement si grossier ou un sanglot si navrant ; après avoir si sincèrement et si fastueusement proclamé l’amour de l’humanité et prédit son progrès indéfini, une misanthropie si désolée et si méprisante ; tant de scepticisme ironique ou découragé, violent ou mélancolique, après ce que M. Guizot a appelé « l’excessive confiance dans l’intelligence humaine » ; tant de désillusion, de sécheresse ou de rouerie, après tant de vaniteuse et généreuse candeur ; tant d’avortement et de stérilité, après tant de promesses et d’espoirs de fécondité ! Quel contraste et quelle leçon ! »[3]

IV

Il n’est pas douteux que Flaubert n’ait voulu traiter d’histoire politique en écrivant l’Éducation sentimentale. « Il s’imaginait… avoir résumé dans ces deux volumes la science économique de notre temps, avoir expliqué les aspirations sociales, les tendances révolutionnaires dont la France est tourmentée et avoir ainsi produit une œuvre d’un intérêt exceptionnel »[4].

  1. Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert, p. 442.
  2. Correspondance, 1re série.
  3. Thureau-Dangin. Histoire de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 383.
  4. Maxime Du Camp. Souvenirs littéraires, t. II, p. 341.