Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

picoraient dans la paille ; une femme passa, portant du linge mouillé sur la tête.

Après le pont, il se trouva dans une île, où l’on voit sur la droite les ruines d’une abbaye. Un moulin tournait, barrant dans toute sa largeur le second bras de l’Oise, que surplombe la manufacture. L’importance de cette construction étonna grandement Frédéric. Il en conçut plus de respect pour Arnoux. Trois pas plus loin, il prit une ruelle, terminée au fond par une grille.

Il était entré. La concierge le rappela en lui criant :

— « Avez-vous une permission ? »

— « Pourquoi ? »

— « Pour visiter l’établissement ! »

Frédéric, d’un ton brutal, dit qu’il venait voir M. Arnoux.

— « Qu’est-ce que c’est que M. Arnoux ? »

— « Mais le chef, le maître, le propriétaire, enfin ! »

— « Non, monsieur, c’est ici la fabrique de MM. Lebœuf et Milliet ! »

La bonne femme plaisantait sans doute. Des ouvriers arrivaient ; il en aborda deux ou trois —, leur réponse fut la même.

Frédéric sortit de la cour, en chancelant comme un homme ivre ; et il avait l’air tellement ahuri que, sur le pont de la Boucherie, un bourgeois en train de fumer sa pipe lui demanda s’il cherchait quelque chose. Celui-là connaissait la manufacture d’Arnoux. Elle était située à Montataire.

Frédéric s’enquit d’une voiture, on n’en trouvait qu’à la gare. Il y retourna. Une calèche disloquée, attelée d’un vieux cheval dont les harnais décousus pendaient dans les brancards, stationnait devant le bureau des bagages, solitairement.

Un gamin s’offrit à découvrir « le père Pilon ». Il revint au bout de dix minutes ; le père Pilon déjeunait. Frédéric, n’y tenant plus, partit. Mais la barrière du