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Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/279

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Il descendit dans son jardin. Les étoiles brillaient ; il les contempla. L’idée de se battre pour une femme le grandissait à ses yeux, l’ennoblissait. Puis il alla se coucher tranquillement.

Il n’en fut pas de même de Cisy. Après le départ du Baron, Joseph avait tâché de remonter son moral, et, comme le Vicomte demeurait froid :

— « Pourtant, mon brave, si tu préfères en rester là, j’irai le dire. »

Cisy n’osa répondre « certainement », mais il en voulut à son cousin de ne pas lui rendre ce service sans en parler.

Il souhaita que Frédéric, pendant la nuit, mourût d’une attaque d’apoplexie, ou qu’une émeute survenant, il y eût le lendemain assez de barricades pour fermer tous les abords du bois de Boulogne, ou qu’un événement empêchât un des témoins de s’y rendre ; car le duel faute de témoins manquerait. Il avait envie de se sauver par un train express n’importe où. Il regretta de ne pas savoir la médecine pour prendre quelque chose qui, sans exposer ses jours, ferait croire à sa mort. Il arriva jusqu’à désirer être malade, gravement.

Afin d’avoir un conseil, un secours, il envoya chercher M. des Aulnays. L’excellent homme était retourné en Saintonge, sur une dépêche lui apprenant l’indisposition d’une de ses filles. Cela parut de mauvais augure à Cisy. Heureusement que M. Vezou, son précepteur, vint le voir. Alors il s’épancha.

— « Comment faire, mon Dieu ! comment faire ? »

— « Moi, à votre place, monsieur le Comte, je payerais un fort de la halle pour lui flanquer une raclée. »

— « Il saurait toujours de qui ça vient ! » reprit Cisy.

Et, de temps à autre, il poussait un gémissement ; puis :