Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/334

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barres lumineuses. Elle s’amusait à les fendre avec sa main ; — Frédéric la saisissait, doucement ; et il contemplait l’entrelacs de ses veines, les grains de sa peau, la forme de ses doigts. Chacun de ses doigts était, pour lui, plus qu’une chose, presque une personne.

Elle lui donna ses gants, la semaine d’après son mouchoir. Elle l’appelait « Frédéric », il l’appelait « Marie », adorant ce nom-là, fait exprès, disait-il, pour être soupiré dans l’extase, et qui semblait contenir des nuages d’encens, des jonchées de roses.

Ils arrivèrent à fixer d’avance le jour de ses visites et sortant comme par hasard, elle allait au-devant de lui, sur la route.

Elle ne faisait rien pour exciter son amour, perdue dans cette insouciance qui caractérise les grands bonheurs. Pendant toute la saison, elle porta une robe de chambre en soie brune, bordée de velours pareil, vêtement large convenant à la mollesse de ses attitudes et de sa physionomie sérieuse. D’ailleurs, elle touchait au mois d’août des femmes, époque tout à la fois de réflexion et de tendresse, où la maturité qui commence colore le regard d’une flamme plus profonde, quand la force du cœur se mêle à l’expérience de la vie, et que, sur la fin de ses épanouissements, l’être complet déborde de richesses dans l’harmonie de sa beauté. Jamais elle n’avait eu plus de douceur, d’indulgence. Sûre de ne pas faillir, elle s’abandonnait à un sentiment qui lui semblait un droit conquis par ses chagrins. Cela était si bon, du reste, et si nouveau ! Quel abîme entre la grossièreté d’Arnoux et les adorations de Frédéric !

Il tremblait de perdre par un mot tout ce qu’il croyait avoir gagné, se disant qu’on peut ressaisir une occasion et qu’on ne rattrape jamais une sottise. Il voulait qu’elle se donnât, et non la prendre. L’assurance de son amour le délectait comme un avant-goût de la pos-