Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/373

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adopte l’unité de langage. On pourrait se servir d’une langue morte, comme par exemple du latin perfectionné. »

— « Non ! pas de latin ! » s’écria l’architecte.

— « Pourquoi ? » reprit un maître d’études.

Et ces deux messieurs engagèrent une discussion, où d’autres se mêlèrent, chacun jetant son mot pour éblouir, et qui ne tarda pas à devenir tellement fastidieuse, que beaucoup s’en allaient.

Mais un petit vieillard, portant au bas de son front prodigieusement haut des lunettes vertes, réclama la parole pour une communication urgente.

C’était un mémoire sur la répartition des impôts. Les chiffres découlaient, cela n’en finissait plus ! L’impatience éclata d’abord en murmures, en conversations ; rien ne le troublait. Puis on se mit à siffler, on appelait « Azor » ; Sénécal gourmanda le public ; l’orateur continuait comme une machine. Il fallut, pour l’arrêter, le prendre par le coude. Le bonhomme eut l’air de sortir d’un songe, et, levant tranquillement ses lunettes :

— « Pardon ! citoyens ! pardon ! Je me retire ! mille excuses ! »

L’insuccès de cette lecture déconcerta Frédéric. Il avait son discours dans sa poche, mais une improvisation eût mieux valu.

Enfin, le président annonça qu’ils allaient passer à l’affaire importante, la question électorale. On ne discuterait pas les grandes listes républicaines. Cependant, le Club de l’Intelligence avait bien le droit, comme un autre, d’en former une, « n’en déplaise à MM. les pachas de l’hôtel de ville », et les citoyens qui briguaient le mandat populaire pouvaient exposer leurs titres.

— « Allez-y donc ! » dit Dussardier.

Un homme en soutane, crépu, et de physionomie pétulante, avait déjà levé la main. Il déclara, en bredouillant, s’appeler Ducretot, prêtre et agronome