Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/423

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forment tout de suite, et les figures de l’assemblée la manifestaient clairement.

— « Comme il me mentait ! » se dit Mme Arnoux.

— « C’est donc pour cela qu’il m’a quittée ! » pensa Louise.

Frédéric s’imaginait que ces deux histoires pouvaient le compromettre ; et, quand on fut dans le jardin, il en fit des reproches à Martinon.

L’amoureux de Mlle Cécile lui éclata de rire au nez.

— « Eh ! pas du tout ! ça te servira ! Va de l’avant ! »

Que voulait-il dire ? D’ailleurs, pourquoi cette bienveillance si contraire à ses habitudes ? Sans rien expliquer, il s’en alla vers le fond, où les dames étaient assises. Les hommes se tenaient debout, et Pellerin, au milieu d’eux, émettait des idées. Ce qu’il y avait de plus favorable pour les arts, c’était une monarchie bien entendue. Les temps modernes le dégoûtaient, « quand ce ne serait qu’à cause de la garde nationale », il regrettait le Moyen Age, Louis XIV ; M. Roque le félicita de ses opinions, avouant même qu’elles renversaient tous ses préjugés sur les artistes. Mais il s’éloigna presque aussitôt, attiré par la voix de Fumichon. Arnoux tâchait d’établir qu’il y a deux socialismes, un bon et un mauvais. L’industriel n’y voyait pas de différence, la tête lui tournant de colère au mot propriété.

— « C’est un droit écrit dans la nature ! Les enfants tiennent à leurs joujoux ; tous les peuples sont de mon avis, tous les animaux ; le lion même, s’il pouvait parler, se déclarerait propriétaire ? Ainsi, moi, messieurs, j’ai commencé avec quinze mille francs de capital ! Pendant trente ans, savez-vous, je me levais régulièrement à quatre heures du matin ! J’ai eu un mal des cinq cents diables à faire ma fortune ! Et on viendra me soutenir que je n’en suis pas le maître,