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Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/425

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s’était récusé, confessant qu’il n’avait pas pris les armes. Le diplomate et M. Dambreuse lui firent un signe de tête approbatif. En effet, avoir combattu l’émeute, c’était avoir défendu la République. Le résultat, bien que favorable, la consolidait ; et, maintenant qu’on était débarrassé des vaincus, on souhaitait l’être des vainqueurs.

À peine dans le jardin, Mme Dambreuse, prenant Cisy, l’avait gourmandé de sa maladresse ; à la vue de Martinon, elle le congédia, puis voulut savoir de son futur neveu la cause de ses plaisanteries sur le Vicomte.

— « Il n’y en a pas. »

— « Et tout cela comme pour la gloire de M. Moreau ! Dans quel but ? »

— « Dans aucun. Frédéric est un charmant garçon. Je l’aime beaucoup. »

— « Et moi aussi ! Qu’il vienne ! Allez le chercher ! »

Après deux ou trois phrases banales, elle commença par déprécier légèrement ses convives, ce qui était le mettre au-dessus d’eux. Il ne manqua pas de dénigrer un peu les autres femmes, manière habile de lui adresser des compliments. Mais elle le quittait de temps en temps, c’était soir de réception, des dames arrivaient ; puis elle revenait à sa place, et la disposition toute fortuite des sièges leur permettait de n’être pas entendus.

Elle se montra enjouée, sérieuse, mélancolique et raisonnable. Les préoccupations du jour l’intéressaient médiocrement ; il y avait tout un ordre de sentiments moins transitoires. Elle se plaignit des poètes qui dénaturent la vérité, puis elle leva les yeux vers le ciel, en lui demandant le nom d’une étoile.

On avait mis dans les arbres deux ou trois lanternes chinoises ; le vent les agitait, des rayons colorés tremblaient sur sa robe blanche. Elle se tenait, comme d’habitude, un peu en arrière dans son fauteuil, avec