Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/428

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— « Bonsoir ! » Mais elle envoya un sourire à Martinon.

Le père Roque, pour continuer sa discussion avec Arnoux, lui proposa de le reconduire « ainsi que madame », leur route étant la même. Louise et Frédéric marchaient devant. Elle avait saisi son bras ; et, quand elle fut un peu loin des autres :

— « Ah ! enfin ! enfin ! Ai-je assez souffert toute la soirée ! Comme ces femmes sont méchantes ! Quels airs de hauteur ! »

Il voulut les défendre.

— « D’abord, tu pouvais bien me parler en entrant, depuis un an que tu n’es venu ! »

— « Il n’y a pas un an », dit Frédéric, heureux de la reprendre sur ce détail pour esquiver les autres.

— « Soit ! Le temps m’a paru long, voilà tout ! Mais, pendant cet abominable dîner, c’était à croire que tu avais honte de moi ! Ah ! je comprends, je n’ai pas ce qu’il faut pour plaire, comme elles. »

— « Tu te trompes », dit Frédéric.

— « Vraiment ! Jure-moi que tu n’en aimes aucune ? »

Il jura.

— « Et c’est moi seule que tu aimes ? »

— « Parbleu ! »

Cette assurance la rendit gaie. Elle aurait voulu se perdre dans les rues, pour se promener ensemble toute la nuit.

— « J’ai été si tourmentée là-bas ! On ne parlait que de barricades ! Je te voyais tombant sur le dos, couvert de sang ! Ta mère était dans son lit avec ses rhumatismes. Elle ne savait rien. Il fallait me taire ! Je n’y tenais plus Alors, j’ai pris Catherine. »

Et elle lui conta son départ, toute sa route, et le mensonge fait à son père.

— « Il me ramène dans deux jours. Viens demain soir, comme par hasard, et profites-en pour me demander en mariage. »