Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/441

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cils, un ruban rose dans ses cheveux bouclants ! (Oh ! comme il l’aurait aimée ! ) Et il lui semblait entendre sa voix : « Papa ! papa ! »

Rosanette, qui venait de se déshabiller, s’approcha de lui, aperçut une larme à ses paupières, et le baisa sur le front, gravement. Il se leva, en disant :

— « Parbleu ! On ne le tuera pas, ce marmot ! »

Alors, elle bavarda beaucoup. Ce serait un garçon, bien sûr ! On l’appellerait Frédéric. Il fallait commencer son trousseau ; — et, en la voyant si heureuse, une pitié le prit. Comme il ne ressentait, maintenant, aucune colère, il voulut savoir la raison de sa démarche, tout à l’heure.

C’est que Mlle Vatnaz lui avait envoyé, ce jour-là même, un billet protesté depuis longtemps ; et elle avait couru chez Arnoux pour avoir de l’argent.

— « Je t’en aurais donné ! » dit Frédéric.

— « C’était plus simple de prendre là-bas ce qui m’appartient, et de rendre à l’autre ses mille francs. »

— « Est-ce au moins tout ce que tu lui dois ? »

Elle répondit :

— « Certainement ! »

Le lendemain, à neuf heures du soir (heure indiquée par le portier), Frédéric se rendit chez Mlle Vatnaz.

Il se cogna dans l’antichambre contre les meubles entassés. Mais un bruit de voix et de musique le guidait. Il ouvrit une porte et tomba au milieu d’un raout. Debout, devant le piano que touchait une demoiselle en lunettes, Delmar, sérieux comme un pontife, déclamait une poésie humanitaire sur la prostitution et sa voix caverneuse roulait, soutenue par les accords plaqués. Un rang de femmes occupait la muraille, vêtues généralement de couleurs sombres, sans col de chemises ni manchettes. Cinq ou six hommes, tous des penseurs, étaient çà et là, sur des chaises. Il y avait dans un fauteuil un ancien fabuliste, une ruine ;