Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/442

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— et l’odeur âcre de deux lampes se mêlait à l’arôme du chocolat, qui emplissait des bois encombrant la table à jeu.

Mlle Vatnaz, une écharpe orientale autour des reins, se tenait à un coin de la cheminée. Dussardier était à l’autre bout, en face ; il avait l’air un peu embarrassé de sa position. D’ailleurs, ce milieu artistique l’intimidait.

La Vatnaz en avait-elle fini avec Delmar ? non peut-être. Cependant, elle semblait jalouse du brave commis ; et, Frédéric ayant réclamé d’elle un mot d’entretien, elle lui fit signe de passer avec eux dans sa chambre. Quand les mille francs furent alignés, elle demanda, en plus, les intérêts.

— « Pas la peine ! » dit Dussardier.

— « Tais-toi donc ! »

Cette lâcheté d’un homme si courageux fut agréable à Frédéric comme une justification de la sienne. Il rapporta le billet, et ne reparla jamais de l’esclandre chez Mme Arnoux. Mais, dès lors, toutes les défectuosités de la Maréchale lui apparurent.

Elle avait un mauvais goût irrémédiable, une incompréhensible paresse, une ignorance de sauvage, jusqu’à considérer comme très célèbre le docteur Desrogis ; et elle était fière de le recevoir, lui et son épouse, parce que c’étaient « des gens mariés « ». Elle régentait d’un air pédantesque sur les choses de la vie Mlle Irma, pauvre petite créature douée d’une petite voix, ayant pour protecteur un monsieur « très bien », ex-employé dans les douanes, et fort aux tours de cartes ; Rosanette l’appelait « mon gros loulou ». Frédéric ne pouvait souffrir, non plus, la répétition de ses mots bêtes, tels que : « Du flan ! À Chaillot ! On n’a jamais pu savoir, etc. ; » et elle s’obstinait à épousseter le matin ses bibelots avec une paire de vieux gants blancs ! Il était révolté surtout par ses façons envers sa bonne, — dont les gages étaient sans cesse arriérés,