Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/77

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déric endossa la robe noire traditionnelle ; puis il entra suivi de la foule, avec trois autres étudiants, dans une grande pièce, éclairée par des fenêtres sans rideaux et garnie de banquettes, le long des murs. Au milieu, des chaises de cuir entouraient une table, décorée d’un tapis vert. Elle séparait les candidats de MM. les examinateurs en robe rouge, tous portant des chausses d’hermine sur l’épaule, avec des toques à galons d’or sur le chef.

Frédéric se trouvait l’avant-dernier dans la série, position mauvaise. À la première question sur la différence entre une convention et un contrat, il définit l’une pour l’autre ; et le professeur, un brave homme, lui dit : — « Ne vous troublez pas, monsieur, remettez-vous ! » puis, ayant fait deux demandes faciles, suivies de réponses obscures, il passa enfin au quatrième. Frédéric fut démoralisé par ce piètre commencement. Deslauriers, en face, dans le public, lui faisait signe que tout n’était pas encore perdu ; et à la deuxième interrogation sur le droit criminel, il se montra passable. Mais, après la troisième, relative au testament mystique, l’examinateur étant resté impassible tout le temps, son angoisse redoubla ; car Hussonnet joignait les mains comme pour applaudir, tandis que Deslauriers prodiguait les haussements d’épaules. Enfin, le moment arriva où il fallut répondre sur la Procédure ! Il s’agissait de la tierce opposition. Le professeur, choqué d’avoir entendu des théories contraires aux siennes, lui demanda d’un ton brutal :

— « Et vous, monsieur, est-ce votre avis ? Comment conciliez-vous le principe de l’article 1351 du Code civil avec cette voie d’attaque extraordinaire ! »

Frédéric se sentait un grand mal de tête, pour avoir passé la nuit sans dormir. Un rayon de soleil, entrant par l’intervalle d’une jalousie, le frappait au visage. Debout derrière la chaise, il se dandinait et tirait sa moustache.