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Page:Flaubert - Le Candidat.djvu/112

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Madame Rousselin.

Quel dévouement !

Julien.

Mais vous occupez ma vie ! Quand, pour respirer plus à l’aise, je monte sur la colline, malgré moi, tout de suite, mes yeux découvrent parmi les autres votre chère maison, blanche dans la verdure de son jardin ; et le spectacle d’un palais ne me donnerait pas autant de convoitise ! Quelquefois vous apparaissez dans la rue, c’est un éblouissement, je m’arrête ; et puis je cours après votre voile, qui flotte derrière vous comme un petit nuage bleu ! Bien souvent je suis venu devant cette grille, pour vous apercevoir et entendre passer au bord des violettes le murmure de votre robe. Si votre voix s’élevait, le moindre mot, la phrase la plus ordinaire, me semblait d’une valeur inintelligible pour les autres ; et j’emportais cela, joyeusement, comme une acquisition ! — Ne me chassez pas ! Pardonnez-moi ! J’ai eu l’audace de vous envoyer des vers. Ils sont perdus, comme les fleurs que je cueille dans la campagne, sans pouvoir vous les offrir, comme les paroles que je vous adresse la nuit et que vous n’entendez pas, car vous êtes mon inspiration, ma muse, le portrait de mon idéal, mes délices, mon tourment !

Madame Rousselin.

Calmez-vous, monsieur ! Cette exagération…

Julien.

Ah ! c’est que je suis de 1830, moi ! J’ai appris à