Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/383

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mais seul, sans le percepteur ; car Binet, fatigué d’attendre l’Hirondelle, avait définitivement avancé son repas d’une heure, et, maintenant, il dînait à cinq heures juste, encore prétendait-il le plus souvent que la vieille patraque retardait.

Léon pourtant se décida ; il alla frapper à la porte du médecin. Madame était dans sa chambre, d’où elle ne descendit qu’un quart d’heure après. Monsieur parut enchanté de le revoir ; mais il ne bougea de la soirée, ni de tout le jour suivant.

Il la vit seule, le soir, très tard, derrière le jardin, dans la ruelle ; — dans la ruelle, comme avec l’autre ! Il faisait de l’orage, et ils causaient sous un parapluie à la lueur des éclairs.

Leur séparation devenait intolérable.

— Plutôt mourir ! disait Emma.

Elle se tordait sur son bras, tout en pleurant.

— Adieu !… adieu !… Quand te reverrai-je ?

Ils revinrent sur leurs pas pour s’embrasser encore ; et ce fut là qu’elle lui fit la promesse de trouver bientôt, par n’importe quel moyen, l’occasion permanente de se voir en liberté, au moins une fois la semaine. Emma n’en doutait pas. Elle était, d’ailleurs, pleine d’espoir. Il allait lui venir de l’argent.

Aussi, elle acheta pour sa chambre une paire de rideaux jaunes à larges raies, dont M. Lheureux lui avait vanté le bon marché ; elle rêva un tapis, et Lheureux, affirmant « que ce n’était pas la mer à boire », s’engagea poliment à lui en fournir un. Elle ne pouvait plus se passer de ses services. Vingt fois dans la journée elle l’envoyait chercher, et aussitôt il plantait là ses affaires, sans se permettre un murmure. On ne comprenait