Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/441

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— Madame ! madame ! s’écria Félicité en entrant, c’est une abomination !

Et la pauvre fille, émue, lui tendit un papier jaune qu’elle venait d’arracher à la porte. Emma lut d’un clin d’œil que tout son mobilier était à vendre.

Alors elles se considérèrent silencieusement. Elles n’avaient, la servante et la maîtresse, aucun secret l’une pour l’autre. Enfin Félicité soupira :

— Si j’étais de vous, madame, j’irais chez M. Guillaumin.

— Tu crois ?…

Et cette interrogation voulait dire :

— Toi qui connais la maison par le domestique, est-ce que le maître quelquefois aurait parlé de moi ?

— Oui, allez-y, vous ferez bien.

Elle s’habilla, mit sa robe noire avec sa capote à grains de jais ; et, pour qu’on ne la vît pas (il y avait toujours beaucoup de monde sur la place), elle prit en dehors du village, par le sentier au bord de l’eau.

Elle arriva tout essoufflée devant la grille du notaire ; le ciel était sombre et un peu de neige tombait.

Au bruit de la sonnette, Théodore, en gilet rouge, parut sur le perron ; il vint lui ouvrir presque familièrement, comme à une connaissance, et l’introduisit dans la salle à manger.

Un large poêle de porcelaine bourdonnait sous un cactus qui emplissait la niche, et, dans des cadres de bois noir, contre la tenture de papier chêne, il y avait la Esméralda de Steuben, avec la Putiphar de Schopin. La table servie, deux