Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poteries cassées. Sur un morceau de poterie, des gouttes de sang.

C’est le long de l’aqueduc que se tiennent d’ordinaire les filles à soldats, qui se livrent là à l’amour moyennant quelques paras. Maxime, en chassant, a dérangé un groupe, et j’ai régalé de Vénus nos trois bourriquiers moyennant la somme de 60 paras (une piastre et demie 7 sols environ). Ce jour-là, quelques soldats et des femmes fumaient au pied des arches et mangeaient des oranges ; un d’eux monté sur l’aqueduc faisait le guet. Je n’oublierai jamais le mouvement brutal de mon vieil ânier s’abattant sur la fille, la prenant du bras droit, lui caressant les seins de la main gauche et l’entraînant, le tout dans un même mouvement, avec ses grandes dents blanches qui riaient, son petit chibouk de bois noir passé dans le dos, et les guenilles enroulées au bas de ses jambes malades.

Lundi 7, entrée au Caire de la princesse belle-mère d’Abbas-Pacha, revenant du pèlerinage de la Mecque. On a été l’attendre au palais, qui est dans le désert de Suez. — Pèlerins montés sur des chameaux, qui descendent et se jettent dans les bras de leurs amis ou parents. — Deux hommes qui s’embrassent en pleurant et s’écartent aussitôt. — Manœuvres de l’infanterie irrégulière dans le désert. — Il fait froid et beaucoup de poussière ; Bekir-bey nous fait entrer parmi l’état-major ; la musique joue des polkas. — Le chef de musique, grosse bedaine en redingote et en souliers-bottes, à cheval : Nubar-bey, jeune Arménien à la tournure quartier latin, figure grotesque des pauvres pachas turcs serrés dans leurs uniformes européens.