Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/245

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et d’admiration furieux me couler le long des vertèbres, je ricane nerveusement, je devais être très pâle et je jouissais d’une façon inouïe. Il m’a semblé, pendant que la caravane a passé, que les chameaux ne touchaient pas à terre, qu’ils s’avançaient du poitrail avec un mouvement de bateau, qu’ils étaient supportés là dedans et très élevés au-dessus du sol, comme s’ils eussent marché dans des nuages où ils enfonçaient jusqu’au ventre.

De temps à autre nous rencontrons d’autres caravanes. À l’horizon, c’est d’abord une longue ligne en large et qui se distingue à peine de la ligne de l’horizon ; puis cette ligne noire se lève de dessus l’autre, et sur elle bientôt on voit des petits points ; les petits points s’élèvent, ce sont les têtes des chameaux qui marchent de front, balancement régulier de toute la ligne. Vues en raccourci, ces têtes ressemblent à des têtes d’autruches.

Le vent chaud vient du midi ; le soleil a l’air d’un plat d’argent bruni, une seconde trombe nous gagne. Ça s’avance comme une fumée d’incendie, couleur de suie avec des tons complètement noirs à sa base, ça marche… ça marche… le rideau nous gagne, bombé en volutes par le bas, avec ses larges franges noires. Nous sommes enveloppés, le vent frappe si fort que nous nous cramponnons à nos selles pour ne pas tomber. Quand le plus fort de la tourmente est passé, pluie de petits cailloux poussés par le vent, les chameaux tournent le cul, s’arrêtent et s’abattent. Nous nous remettons en marche.

Vers 7 heures et demie du soir, les dromadaires