Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/244

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en pierre ou s’abreuvent des chameaux. Arabes à l’ombre, qui mangent, prient, dorment ; les animaux, comme les gens, sont sous les arbres, au hasard, comme ils sont venus ou ont pu se mettre ; c’est la vraie halte du voyage.

Le terrain, mouvementé, est caillouteux, la route est aride, nous sommes en plein désert, nos chameliers chantent et leur chant finit par une modulation sifflante et gutturale pour exciter les dromadaires. Sur le sable se voient parallèlement plusieurs sentiers qui serpentent d’accord, ce sont les traces des caravanes, chaque sentier a été fait par la marche d’un chameau. Quelquefois il y a ainsi 15 à 20 sentiers ; plus la route est large, et plus il y a de sentiers parallèles. De place en place, toutes les deux ou trois lieues environ (mais au reste sans régularité), larges places de sable jaune et comme vernies par une laque terre de Sienne ; ce sont les endroits où les chameaux s’arrêtent pour pisser. Il fait chaud, à notre droite un tourbillon de khamsin s’avance, venant du côté du Nil, dont on aperçoit encore à peine quelques palmiers qui en font la bordure ; le tourbillon grandit et s’avance sur nous, c’est comme un immense nuage vertical qui, bien avant qu’il ne nous enveloppe, surplombe sur nos têtes, tandis que sa base, à droite, est encore loin de nous. Il est brun rouge et rouge pâle, nous sommes en plein dedans ; une caravane nous croise, les hommes entourés de coufiehs (les femmes très voilées) se penchent sur le cou des dromadaires ; ils passent tout près de nous, on ne se dit rien, c’est comme des fantômes dans des nuages. Je sens quelque chose comme un sentiment de terreur