Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/254

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m’en servir. Pour latrines, il y a une sorte de balcon ou de fauteuil en bois, accroché extérieurement au bastingage ; quand la mer est un peu forte, on doit être enlevé de là, net. Le divan et la chambre occupent le château d’arrière, le tout non ponté et plein de marchandises. Des hommes jouaient aux cartes avec de petites rondelles de cuir imprimé de couleurs, il y avait dessus des soleils, des sabres, etc. Le soir nous prenons un bain de mer, au soleil couchant. Quel bain ! comme je m’étalais avec délices dans l’eau !

Jeudi 23 mai, nous partons sur des ânes de très grand matin pour aller visiter le vieux Kosséir, dont il ne reste absolument rien. Nous sommes accompagnés de M. Barthélemy, du fils Élias avec son large vêtement brun qui s’agite au vent et conduisant habilement un dromadaire, et du janissaire de M. Métayssier, Reschid. C’est un Khurde, il a été fait prisonnier dans l’Hedjaz et a tourné les sakiehs pendant sept ans. Toute son ambition est de voir Paris et de s’engager pour servir en Afrique. Il est amoureux fou d’une femme qu’il emmène avec lui à Gedda ; il l’avait déjà renvoyée pour inconduite, mais en repassant à Keneh, où elle était fille publique, il l’a reprise. Il porte un arsenal sur lui et se charge avec plaisir de nos deux fusils. Se disputant, ces jours passés, avec un descendant du prophète qui se vantait de sa souche, il prit sa pantoufle, cracha dessus, et souffletant avec elle le petit-fils de Mohammed : « Tiens, voilà le cas que je fais de ta famille, du prophète et de toi ! » Le second janissaire de M. Métayssier, Omer-Aga, grand, figure maigre, plus intelligent que son confrère, robe