Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/339

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commençais à dormir, quand Joseph s’écria : « Entendez-vous ? ils se battent ! ». Je me réveille en sursaut, il venait d’entendre plusieurs coups de fusil dans la direction des montagnes de l’Est. À minuit, nous sommes partis, nous nous étions levés à 10 heures et demie. — Les chiens aboient, la lune rouge se lève, son croissant est couché sur le flanc, elle est moins belle et moins odalisque qu’hier, où elle avait des tournures d’une langueur ineffable. À sa clarté nous passons plusieurs rivières, le chemin est bon, nous filons vite.

Au bout de deux heures, Khan-el-Sheik, espèce de grande forteresse ou caravansérail, sur la droite de la route. Nous ne sommes arrêtés que par les nombreux cours d’eau qui se présentent, on s’attend, on se réunit, on repart. Les étoiles pâlissent, le jour se lève, nous sommes tous répandus sur le large chemin. Poésie de Cervantes, te voilà donc ! À gauche, les montagnes ont des teintes gris perle foncé, avec de la nacre au sommet ; c’est de la neige. Nous rencontrons quelques chameaux, on sent les approches d’une grande ville, tout le monde est gai, le bouffon chatouille son cheval pour le faire ruer et mordre ; ils blaguent Abou-Issa dans son patois beyroutien. La campagne est large, grasse, cultivée. Nous rencontrons une petite caravane de chameaux qui portent des peaux, nous traversons un grand village, nous attendons le bagage sous des arbres. Au bout de trois quarts d’heure, nous touchons à la longue ligne basse de verdure et de maisons que nous voyons depuis quelque temps, et nous entrons dans un interminable faubourg où nos chevaux glissent sur le pavé. Tas de blé par terre,