Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/368

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montagne, j’ai tâché de chercher dans la plaine si je ne le verrais pas. Pas d’oiseau, pas de bruit, plus rien, un vent glacial et l’étourdissement des hauts lieux.

Bêtes et gens m’ont rejoint, tous avariés ; j’avais déjà vu le mulet de la cuisine se rouler, avec tout son bagage, sur la place d’herbe dont j’ai parlé ; Abou-Ali et son cheval sont restés dans la montagne. Sassetti m’a l’air plus mort que vif, je suis obligé de lui donner mon paletot pour le réchauffer, ce qui le gratifie d’un air poussah des plus lourds ; il est gelé, fort triste et démoralisé. Il descend de cheval et ne peut marcher, deux ou trois fois roule sur lui-même, comme étourdi, finit à grand’peine par remonter à cheval. C’est grande chance s’il ne s’y est pas tué, il ne tenait pas plus sur sa selle qu’un paquet de linge sale, — à toute minute il me demande pour combien de temps nous avons encore de route, — je le réconforte de mon mieux.

Descente, pas de pierres, de la terre seulement. Elle est si rapide que je suis obligé d’aller à pied. Nous descendons, la vallée s’élargit, elle n’a plus l’air d’un fossé entre deux murs, mais d’une gorge à pentes très escarpées. Nous laissons les cèdres sur la droite et nous nous enfonçons dans la vallée. Après nous être carabossés de rochers en rochers et qu’Abou-Issa s’indigne toutes les fois qu’on dit : Allah !, voilà mes deux imbéciles qui prennent leurs voix dans les deux mains pour demander la route à des hommes qui travaillaient au loin dans la campagne. Station d’une demi-heure, les mulets batifolent dans les environs, l’âne est perdu, il faut aller chercher l’âne. Nous sommes à l’entrée du