Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/382

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beaucoup de choses. Mme Bellot, sa voisine, tient la maison, tire son ouvrage de la table à travailler, est traitée sur le pied d’étrangère ; le langage y est plus tenu que devant la plus honnête femme du monde. Que c’est bête, mon Dieu, de n’être pas franc ! — Son drogman Abdallah. Dans quelques maisons d’étrangers, on voit ainsi, à table, un jeune homme vêtu à la turque, fraîchement rasé et de façons agréables ; sic chez M. Suquet et chez M. Pitzalozza. C’est une position qui serait, je crois, à étudier, intermédiaire entre la vie turque et l’européenne. Il doit savoir beaucoup de secrets de l’un et de l’autre, doit servir au mari et à la femme, n’est qu’un domestique à 150 piastres par mois, et ne peut pas ne pas être autre chose. À Beyrout, on nous a dit qu’il jouait avec lui et ne pouvait s’empêcher de le tricher ; à ce qu’il paraît que c’est plus fort que lui ! Je n’ai pas revu M. Pérétié, qui a une si belle moustache et porte des éperons pour aller en bateau ; sa rage de la chasse se combinant avec ses vieilles habitudes militaires, il a rêvé pour lui et ses compagnons un uniforme de chasse.

Mercredi matin. — Partis à 5 heures du matin, seuls, sans drogman ni bagages ; les mulets, non chargés, nous suivant de loin. Cette côte me paraît bien moins belle que celle qui s’étend entre Beyrout et Saïda, c’est sec et sans grandeur ; du reste, à mesure que l’on avance, ça gagne. À 10 heures, nous arrivons à Batrun, sur le bord de la mer, dans un grand khan voûté, où nous employons la pantomime pour avoir à boire et à manger ; une espèce de drôle, parlant un jargon italien, nous aide un peu. Après l’œuf dur du voyage et quantité de raisin non mûr, nous faisons un somme par terre, sur