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Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/92

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est pour les vieilles femmes ce qu’est le lierre aux débris, elle cache la ruine et la consolide.

Femmes de Malte généralement petites, teint pâle, le tablier sur la tête, cela se rapproche déjà du voile.

Partis de Malte le jeudi, à 3 heures de l’après-midi. — Nuit soignée. — Temps lourd vers dix heures. — M. Codrika avec petites pilules homéopathiques, étouffant ; l’orage lui pesait sur les nerfs. La pluie tombe à torrents et le fournisseur refuse de donner une orange ; Barthélemy le fait appeler et le lui ordonne. On finit par l’avoir.

Craquements du navire. Je partage jusqu’à deux heures du matin le quart du père Borelli qui trouve qu’il ne fait pas mauvais temps. La mer roule. Dans les intervalles du clair de lune, quand elle se dégage un moment des nuages, je vois les gros flots sauter ; le gouvernail frappe contre l’arrière, on dirait des coups de canon. Je monte et je redescends plusieurs fois de la cabine sur le pont, du pont dans ma cabine ; enveloppé dans ma pelisse et couché sur le banc de tribord, les nuages me pesaient sur la poitrine. Tout le temps de la tempête j’ai pensé à Alfred, les coups de mer sur les tambours rebondissaient jusqu’à moi. Le matin, Roux est d’avis de retourner à Malte, ce ne fut pas si vite fait : vers 3 heures de l’après-midi, on ne savait pas où l’on était ; il y eut un quart d’heure (on avait vu Malte et l’on retournait au large faute de trouver la passe) où ceux qui savaient ce qui se passait furent un peu émus, M. Delagrange pâlit. (La nuit, des mécaniciens avaient pleuré ; j’ai entendu pendant la traversée un matelot prédire malheur, et le maître de timo-