Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/110

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autre, une voix d’homme épouvantée répond, on ne veut pas ouvrir. Le gendarme donne de grands coups de crosse dans la porte, Giorgi des coups de pied ; la voix, furieuse et tremblante, répond avec volubilité, une voix de femme s’y mêle. Giorgi a beau répéter milordji, milordji, on nous prend pour des voleurs, et l’altercation mêlée de malédictions de part et d’autre continue. Je me range en dehors de la porte, près de la muraille, dans la crainte d’un coup de fusil. Ô mœurs hospitalières des campagnards ! ô pureté des temps antiques !

À une troisième porte, enfin, quelqu’un de moins craintif consent à nous ouvrir. Jamais je n’oublierai de ma vie la terreur mêlée de colère de cette voix d’homme. Quel propriétaire ! était-il chez lui ! avait-il peur de l’étranger ! se moquait-il du prochain ! et la voix claire de la femme piaillant par-dessus celles des hommes !

Celui-ci nous mène au khan, que l’on nous ouvre. Nous entrons dans une grande écurie pleine de fumée, où je vois du feu ! du feu ! Quelqu’un de là m’a détaché ma couverture, et je me suis approché de la flamme avec un sentiment de joie exquis. Souper avec une douzaine d’œufs à la coque, que nous fait cuire une bonne femme, la maîtresse du khan. J’ai bu du raki, j’ai fumé, je me suis chauffé, rôti, refait, dormi deux heures sur une natte et sous une couverture pleine de puces prêtée par l’hôtesse du lieu ; le reste de la nuit se passe à faire sécher et à brûler nos affaires. Les chevaux mangent, le bois flambe et fume, de temps à autre je me lève et vais chercher le bois dont les épines m’entrent dans les mains, les autres voya-