Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/111

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geurs dorment couchés tout autour du feu. Quand il arrive quelqu’un, on crie « Khandji ! Nadji ! », la porte s’ouvre, l’homme entre avec son cheval tout fumant, la porte se referme, le cheval va s’attabler à la mangeoire et l’homme s’accouve près du feu, puis tout rentre dans le calme. — Ronflements divers des dormeurs. — Je pense à l’âge de Saturne décrit par Hésiode ! Voilà comme on a voyagé pendant de longs siècles ; à peine sortons-nous de là, nous autres.

Le lendemain lundi 13 (jour de l’an de l’année grecque), dès qu’on y voit, nous sortons du khan. La neige tombe tassée ; un enfant (Dimitri, le fils de la bonne femme), avec son capuchon sur la tête, gros petit robuste paysan, à l’air bête et à lèvres sensuelles, nous sert de guide jusqu’à la route, nous n’en avons pas été loin hier au soir ; il fallait, comme nous l’avons pensé, laisser le ravin sur la gauche.

Nous passons le Cithéron à grand’peine, nos chevaux un peu plus ne pourraient s’en tirer. La couverture de laine de Maxime a l’air d’une peau de mouton veloutée, et par le bas revêt, en certaines places, des tons bruns à glacis d’or (taches de fumée, ou la laine qui reparaît en dessous ?) pareils à de la peau de léopard.

À 11 heures du matin, arrêtés trois quarts d’heure à Casa, il y fait froid. Déjeuner avec du pain chaud et pas mal de petits verres de raki. Nous remettons nos couvertures sur nos dos, ma peau de bique est déchirée. Avec mon tarbouch rabattu sur les yeux, ma grande barbe et mes vêtements de poil et de grosse laine, le tout rattaché par des ficelles et des cordons, j’ai l’air d’un Cosaque.