Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/132

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l’on tordit nos chemises qui, deux jours après, n’étaient pas sèches.

Pour nous en retourner à Quiberon, il fallut se lever le lendemain, avant 7 heures, ce qui exigea du courage. Encore raides de fatigue et tout grelottants de sommeil, nous nous empilâmes dans la barque, en compagnie d’un cheval blanc, de deux voyageurs pour le commerce, du même gendarme borgne et du même fusilier qui, cette fois, ne moralisait personne. Gris comme un cordelier et roulant sous les bancs, il avait fort à faire pour retenir son shako qui lui vacillait sur la tête et pour se défendre de son fusil qui lui cabriolait dans les jambes. Je ne sais qui de lui ou du gendarme était le plus bête des deux. Le gendarme n’était pas ivre, mais il était stupide. Il déplorait le peu de tenue du soldat, il énumérait les punitions qu’il allait recevoir, il se scandalisait de ses hoquets, il se formalisait de ses manières. Vu de trois quarts, du côté de l’œil absent, avec son tricorne, son sabre et ses gants jaunes, c’était certes un des plus tristes aspects de la vie humaine. Un gendarme est, d’ailleurs, quelque chose d’essentiellement bouffon, que je ne puis considérer sans rire ; effet grotesque et inexplicable, que cette base de la sécurité publique a l’avantage de m’occasionner, avec les procureurs du roi, les magistrats quelconques et les professeurs de belles-lettres.

Incliné sur le flanc, le bateau coupait les vagues qui filaient le long du bordage en tordant