Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/137

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Le village était tranquille, les poules gloussaient dans les rues, et dans les jardins enclos de murs de pierres sèches, les orties sont poussées au milieu de carrés d’avoine.

Comme nous étions devant la maison de notre hôte, assis à prendre l’air, un vieux mendiant a passé. Il était courbé, en guenilles, grouillant de vermine, rouge comme du vin, hérissé, suant, la poitrine débraillée, la bouche baveuse.

Le soleil reluisait sur ses haillons, sa peau violette et presque noire semblait transsuder du sang. Il beuglait d’une voix terrible en frappant à coups redoublés contre la porte d’une maison voisine.

[1]Nous eûmes l’honneur de dîner avec nos deux voyageurs pour le commerce dont la politesse méritait bien l’offre de l’inévitable bouteille de Champagne, aussi leur cœur s’ouvrit-il complètement aux nôtres, et ils versèrent dedans leurs confidences les plus intimes. Nous apprîmes des choses fort intéressantes, que le plus jeune, par exemple, voyageait pour une maison de Lisieux et qu’il avait eu l’an passé une maîtresse qui s’appelait Joséphine et qui avait beaucoup de gorge. C’était, du reste, un gaillard qui avait connu de Cythère le haut et le bas de l’échelle, il lui arrivait souvent de calmer ses sens pour de faibles trésors et il avait couché avec des femmes qui couchaient dans des draps de satin noir.

  1. Inédit, pages 137 à 140.